Veronica Vecchioni – Cabinet Vecchioni : CBD et arrêté liberticide

ParlonsCanna
Dans ce nouvel épisode, nous sommes en compagnie de Maître Veronica Vecchioni, avocate franco-italienne. Elle exerce depuis 22 ans au barreau de Nice, et est spécialisée en droit international et de l’Union Européenne. Aujourd’hui, nous allons parler de CBD et de commerçants devenus du jour au lendemain des trafiquants de drogue. Pour cause, une réglementation liberticide. Aux dernières nouvelles, la rapporteur de la République a demandé l’annulation de l’arrêté du 30 décembre 2021, interdisant la vente de la feuille et de la fleur de CBD. Cette restriction avait mis toute une filière dans le doute et au devant de risques financiers et juridiques. Nous en parlerons également mais avant, découvrons le parcours et la personnalité de notre invité.
Qui est Veronica Vecchioni? Quel est son parcours?
Maître Véronica se définit comme une aventurière dans le monde de l’entreprise. Les libertés qui gravitent autour de son métier lui tiennent à cœur. Pour elle, ces libertés sont indispensables, et c’est pourquoi elle veut les défendre et les respecter. D’ailleurs, c’est ce qui l’a inspiré dans le métier d’avocat, qu’elle exerce avec une vision entrepreneuriale.
Elle a monté le cabinet Vecchioni le 3 janvier 2000. A l’époque, il fallait avoir des visions avant-gardistes et progressistes pour naître et grandir dans ce métier difficile, qui selon elle, tend à devenir un métier d’entrepreneur. C’est cette vision qui l’a rapproché des entrepreneurs et permis de créer des synergies. Ensemble, ils partagent le goût du risque et de l’aventure.
D’où est venue la connexion avec le CBD?
Maître Vecchioni raconte avoir mené un long et passionnant combat pour des entrepreneurs dans l’univers de l’esthétique et de la santé. Ces derniers étaient confrontés à un problème de monopole, en utilisant des nouvelles technologies pour le bien-être. Ils ont dû se battre pour conserver leur position. Au terme de ce combat qui l’a marqué, elle avait déjà un regard sur le prochain. Étant associée au laboratoire de droit international de l’université de Nice, elle a effectué des recherches dans des domaines complexes du droit, ayant un impact économique et social important. C’est en 2017 qu’elle s’intéresse à toutes les lectures sur le CBD et commence à comprendre le problème juridique que cette activité allait rencontrer.
Quel était l’élément déclencheur avec le CBD?

Un article de presse lui a fait comprendre en quelques minutes que le CBD allait nourrir les débats. Encore une fois, les textes français étaient devancés par une évolution sociale et économique inévitable. A côté, les textes européens devançaient ces évolutions. En même temps, elle avait dû s’intéresser à la biologie et à la biochimie, pour comprendre la structure moléculaire du chanvre. Elle avait besoin de connaître quelles sont les molécules qui posent problème juridiquement et humainement parlant.
Certaines de tes aventures avec le CBD
“Les douaniers voulaient danser une valse mais je préfère le tango”, dit-elle.
Avec son cabinet, maître Vecchioni a combattu pendant des années et enchaîné saisies sur saisies, notamment pendant le confinement. Elle raconte son parcours un peu anecdotique:
“Toutes les marchandises qui venaient de l’Italie étaient régulièrement saisies, et ont fini ici. 200 kg de marchandises de CBD ont transité par mon bureau suite à ce combat contre les douanes de Nice.”
Elle ajoute que même si c’était difficile, ce combat était significatif. En revanche, pour les entrepreneurs, c’était sans doute trop long car beaucoup ont retrouvé une marchandise qui n’était plus vendable.
Quelles étaient les difficultés?
Les premiers dossiers arrivés en 2018 étaient les plus compliqués. La difficulté majeure était aussi de comprendre le domaine très opaque de la douane. Il faut savoir que le droit douanier est un droit exorbitant du droit commun. Les douanes exercent leurs pouvoirs à partir du moment où ils ont un doute légitime sur la nature de la marchandise. Mais il fallait démontrer que nous aussi, avons des droits, avec des forces objectives et scientifiques.
“J’ai trouvé un moyen de me mettre sur un pied d’égalité avec les douanes pour les entrepreneurs que je représentais. C’est un outil juridique qui me permettait dans une certaine mesure de me mettre dans une situation aussi exorbitante. Par la suite, nous avons obtenu des levées de sanctions plus rapidement”.
Elle poursuit son récit avec une anecdote un peu particulière:
“C’est inhabituel pour un avocat de se retrouver avec 200 sacs de marchandises de CBD. J’avais l’impression de vivre mon propre film. J’ai fait des allées et venues avec ma voiture entre les douanes et mon bureau, à remonter mes sacs sur mon dos. Les gens que je croisai dans l’immeuble ne me regardaient plus de la même façon, mais j’en étais fière. J’en ai eu peur, mais c’est ce qui fait la beauté de cette aventure”.
Ton analyse sur l’évolution juridique du marché du CBD en 2022
Selon maître Vecchioni, nous faisons face à une évolution positive. Garder un œil sur le passé permet de mieux appréhender l’avenir, surtout quand on a vécu des choses difficiles. Si on fait la rétrospective de son cabinet depuis 2017, ses clients sont passés en garde à vue, ont fait l’objet de descentes de douaniers et de policiers dans leurs boutiques pour saisir la marchandise,… Un climat beaucoup plus hostile, voire traumatisant pour ces entrepreneurs. Mais le plus important, c’est que bien souvent, ils ont obtenu relaxe sur relaxe. Aucun de ses clients n’avait été mis sous contrôle judiciaire ni en détention provisoire à la sortie de la garde à vue.
Cependant, la question fatidique en sortant de là était de savoir s’il fallait continuer ou pas.
“Je salue le courage des entrepreneurs, qui malgré le fait d’avoir été mis dans ces conditions, ont continué leur activité. C’est grâce à leur courage que nous pouvons en débattre aujourd’hui et poser un regard sur l’avenir”.
Pourquoi un arrêté liberticide ?
Le 30 décembre 2021, alors que tout le monde s’apprête à fêter le nouvel an, nous avons eu un cadeau inattendu sous le sapin. Il s’agit de l’arrêté posant des interdictions générales et absolues de la vente de la fleur et de la feuille, quel que soit le taux de CBD et de THC. Avant cet arrêté, il y a eu des avancées, comme la fameuse jurisprudence Kanavape. Nous étions satisfaits d’avoir combattu et affronter nos peurs, jusqu’à ce que cet arrêté réduise tous nos efforts à néant.
C’est un revirement impensable et liberticide, dit-elle.
Pour info, la fleur représente 70% des ventes. Ces chiffres d’affaires sont justifiés par une forte demande. Même si les entrepreneurs appliquent l’arrêté du 30 décembre en arrêtant de vendre la fleur, ils basculent du côté des trafiquants parce qu’ils ont du stock. Selon l’avocate, c’est un arrêté sans transition possible, qui laisse 7 millions de consommateurs dans l’interrogation.
Comment as-tu réagi à cet arrêté?

Le débat avant le 30 décembre 2021 portait sur le THC et le CBD. L’un n’a pas d’effet néfaste pour la santé, tandis que l’autre doit être inférieur à un certain pourcentage pour ne pas être qualifié de stupéfiant. Le débat portait principalement sur le cadre juridique du THC, molécule psychotrope, et potentiellement néfaste pour la santé. Tout portait à croire que la fleur pouvait être vendue avec un taux de THC en-dessous d’un certain seuil. Mais quand l’arrêté est sorti, il a interdit la vente de la feuille et de la fleur, quel que soit son taux de THC.
Maître Vecchioni et ses associés ont mis en place un plan d’action en réaction à cet arrêté, en puisant des instruments juridiques dans le droit européen. Découvrez ici le communiqué de presse concernant le recours préparé par le cabinet Vecchioni pour les victimes de l’arrêté liberticide.
Cependant, le droit européen n’a pas établi une réglementation commune à tous les pays européens en matière de CBD. Bien qu’il y ait des jurisprudences, elles n’ont pas de forces coercitives. La preuve, après l’arrêté Kanavape, le législateur français a décidé de prendre un arrêté qui va totalement à l’encontre de l’impulsion que les instances européennes ont voulu donner au marché du CBD.
En amorçant la réaction nécessaire à cet arrêté, maître Vecchioni a mis en place trois actions stratégiques: le référé liberté, la plainte à la Commission Européenne et le recours au Conseil d’Etat.
Le référé liberté contre l’atteinte aux libertés fondamentales
C’est un combat commun avec les associations, les syndicats, les collectifs et les requérants individuels. Pour sa part, le cabinet Vecchioni a choisi de présenter des recours individuels par entreprise. Dans tous les recours qui ont été faits, l’objectif était de protéger les libertés fondamentales. Nous avons pu savourer une première victoire avec la suspension de l’arrêté le 24 janvier. Finalement, il n’aura vécu que 25 jours.
La plainte devant la Commission Européenne
Simultanément, maître Vecchioni a décidé de faire une plainte à la Commission Européenne avec les entrepreneurs qu’elle représente. Cette action précède le recours au fond devant le Conseil d’État, pour que l’arrêté soit annulé. Ils ont fait ce choix pour la simple raison qu’ils se servent du droit européen pour défendre l’activité. Le but était de développer tout ce qui attrait à la charte européenne des libertés fondamentales, ratifiée par la France. Trois libertés de cette charte étaient remises en question dans cet arrêté:
- la liberté d’entreprendre,
- la liberté d’aller et venir puisque les entrepreneurs pouvaient être mis en garde à vue voire en détention provisoire pour une simple détention d’un stock,
- le droit de propriété, parce que toutes les marchandises étaient saisissables du jour au lendemain, sans transition aucune.
“Le droit européen a été mis à mal. L’Europe n’a été créée que pour mettre en place un marché unique européen. Le but était de favoriser le libre échange et d’éviter les guerres basées sur les problématiques de marchandises, ainsi que le protectionnisme que certains Etats pouvaient avoir”.
Quelle différence as-tu apportée dans ta démarche?
La différence était dans la prolongation de cette analyse du dossier d’un point de vue européen. La libre circulation des marchandises est un principe fondamental, et les États membres ayant ratifié cet arrêté ne doivent pas mettre en place de mesures protectionnistes. Mais l’arrêté du 30 décembre 2021 porte atteinte à la libre circulation des marchandises de CBD, et aucun autre pays en Europe n’avait pris de mesure aussi absolue et générale d’interdiction.
“La particularité de mon intervention, c’est de représenter des sociétés françaises, et d’autres pays européens pour apporter un poids supplémentaire à notre combat. Pour des raisons économiques, nous avons gardé le principe du recours individuel pour que chacune de ces entreprises puisse être indemnisée individuellement”.
Contre qui as-tu porté plainte devant la Commission Européenne?
Maître Vecchioni affirme avoir porté plainte contre la France. Pour elle, il y a eu une perte de chiffres d’affaires entre le 31 décembre 2021 et le 25 janvier 2022. C’est une perte nette indiscutable, les expertises comptables sont claires! dit-elle.
Il faut savoir que cette perte a perduré toute l’année car malgré la suspension de l’arrêté, il y a eu un impact économique évident qui fait que le climat économique allait forcément décliner.
La plainte qui a été déposée avant le recours au conseil d’Etat est une mesure d’effet équivalente à la restriction de la libre circulation des marchandises. En effet, en Europe, il est interdit de porter atteinte aux grands principes.
Par contre, un Etat peut garder sa souveraineté pour des raisons de santé publique ou d’ordre public. En Europe, le principe veut que chaque Etat puisse prendre ses propres dispositions si la libre circulation des marchandises, a un impact sur la santé publique ou sur l’ordre public. Mais encore faut-il que ce soit justifié et proportionné. Or, il n’y a aucune proportion entre l’atteinte à la santé publique ou à l’ordre public et l’interdiction générale et absolue qu’avait faite la France.
Rapport du 14 décembre du Conseil d’Etat: quelles sont les dernières nouvelles?
“Avec ce qui s’est passé la semaine dernière, je sens qu’on va vers du positif.
Il s’agit des conclusions de la rapporteur public, et non la décision du CE tant attendue. Ses conclusions abondent dans le sens de notre combat, et elle a même été plus loin que ce qu’on demandait.”
En effet, le rapporteur public a estimé que l’interdiction absolue et générale de la vente de la fleur et de la feuille était une mesure disproportionnée par rapport au motif d’ordre public et de santé publique. Ainsi, elle demande l’annulation de l’arrêté du 30 décembre. En soi, c’est déjà une première victoire, même si on ne sait pas ce que le CE décidera par la suite.
Statistiquement, 9 fois sur 10, le CE suit les conseils du rapporteur public.
L’évolution est bonne augure, mais le maître émet en même temps des réserves.
Qu’en est-il des agriculteurs de chanvre CBD?

Les agriculteurs sont concernés par cet arrêté et par les conclusions de la rapporteur public.
Ils sont considérés comme de véritables guerriers à côté des entrepreneurs, car c’est l’un des métiers les plus difficiles. Pour rappel, l’arrêté avait imposé un contrat aux agriculteurs avant de commencer toute production. Pourtant, ce contrat n’est pas demandé dans les autres pays européens. La bonne nouvelle est que la rapporteur public demande à ce que ce ne soit plus imposé aux agriculteurs.
L’indemnité économique
Le troisième point important est que la rapporteur public a décidé de reconnaître une petite indemnité économique. C’est une indemnité symbolique qu’elle demande au CE de fixer à 1000 euros de remboursement dus à chaque association, collectif, ou requérant individuel.
Ce n’est rien comparé aux pertes financières, sans parler du préjudice moral.
En réalité, on n’avait pas besoin d’attendre les conclusions de la rapporteur public pour faire cette démarche. D’après maître Vecchioni, à partir du moment où on estime qu’un arrêté ou une loi l’Etat porte atteinte à une situation économique, on peut faire un recours indemnitaire. C’est le 4ème acte de notre plan d’action, dit-elle.
“Il faut faire une tentative sans attendre la réponse du CE, car quoi qu’il arrive, l’impact économique a eu lieu. C’est légitime de demander une indemnisation, c’est un droit qu’il faut exercer”.
Est-ce que ce n’est pas un peu tôt pour ça?
Dans toutes les procédures complexes, il y a toujours des préalables. Pour présenter le recours indemnitaire, il y a plusieurs étapes en amont. C’est un choix stratégique de faire cette partie préalable, pour faire une demande indemnitaire au bon moment.
“J’estime personnellement qu’il n’y a pas de risque de se faire débouter. Tout au plus, on risque un sursis à statuer par rapport à une demande indemnitaire”.
Dans un recours indemnitaire, il faut des données objectives et techniques fournies par des experts comptables ou des spécialistes, afin de mesurer les pertes de chiffre d’affaires. On parle de 150 000 à 170 000 euros en moyenne pour une boutique de CBD normale.
“C’est un droit qu’il faut exercer, mais ce n’est pas un combat qui va se faire en quelques mois. Pour certains recours indemnitaires que nous avons fait, nous en sommes encore là après 10 ans de combat”.
Si c’est un collectif ou association, il va falloir présenter la demande de manière mutualisée, pour une indemnité unique pour la collectivité tel que le rapporteur l’a suggéré. Maître Vecchioni représente aujourd’hui une trentaine de sociétés, pour que l’Etat décide d’indemniser individuellement.
“A partir du moment où on a des droits, nous les avocats, avons l’obligation de mettre tous les moyens à disposition de nos clients pour mener leur combat. C’est une erreur de ne pas utiliser tous les moyens qu’on a. Le recours indemnitaire est prévu dans les textes. Il existe et il faut le mettre en place. Il y aura des déceptions, des refus, mais c’est un droit qu’il faut exercer”.
Le combat du CBD n’est pas fini. Est-ce que l’Etat peut encore nous mettre des bâtons dans les roues?
“Le prochain nouvel an sera encore plus savoureux que le précédent. Le débat a eu lieu la semaine dernière et la décision du conseil d’Etat devrait arriver dans deux semaines. Peut-être aurons-nous beaucoup de choses à fêter? Je pense que la décision qui sera prise incitera fortement les autorités à prendre une réglementation complète et proportionnée”.
Selon maître Vecchioni, si le CE annule l’arrêté, il faudra que le législateur reprenne une réglementation adéquate et proportionnée à l’évolution économique et sociale de notre société.
Pour définir ces textes, il devra travailler avec les députés et leurs groupes de travail. Il faut créer des débats avec différents corps de métiers et professions concernés par la filière.
Elle ajoute que les pharmaciens et les médecins doivent faire partie de la table ronde, car au-delà de tout, il y a le bien être et aussi les thérapies autour de la plante. C’est un débat commun entre tous les acteurs du CBD au niveau européen.
Son positionnement par rapport au futur du THC
“Aujourd’hui, je suis positionnée sur le combat pour le CBD, une marchandise qui scientifiquement ne porte pas atteinte à la santé à un certain taux. Je veux continuer mon combat en portant cette couleur. La légalisation du cannabis est un autre sujet, même si les deux peuvent faire l’objet d’un amalgame et que ce combat peut porter vers la suite. S’il nous amène à parler de légalisation, je laisserai la place à ceux qui y pensent et qui se battent déjà pour ça”.
Un message pour la fin
“Le fait que le CE annule l’arrêté est un message transcendant qui va au-delà de tout. Comme je le disais, cet arrêté est liberticide parce qu’il porte atteinte à nos libertés fondamentales. S’il est annulé, nous serons dans un pays où nos libertés seront enfin restaurées et respectées.
Nous les avocats et entrepreneurs, chacun de notre côté ou ensemble, nous sommes une force. De votre côté, les médias, vous êtes un pouvoir”.
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