François-Michel Lambert: le cannabis n’est pas une fleur du mal

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Parlons Canna revient avec une nouvelle saison, un nouvel épisode et un nouvel invité. Aujourd’hui, nous accueillons François Michel Lambert, député écologiste, fondateur de l’institut national de l’écologie circulaire, et auteur du livre “Cannabis Ecce Homo”. Il est connu pour ses engagements dans la lutte contre la pollution par le plastique, et pour la légalisation du cannabis. Pour ceux qui s’en souviennent, il est l’auteur de l’opération coup de poing en 2021, où il a brandit un joint dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale et a créé un buzz énorme. Du citoyen moyen à l’homme politique, en passant par l’écrivain, découvrons ensemble son personnage.
Avant d’être un homme politique, parles-nous un peu de toi
Je suis né à Cuba, j’ai 56 ans et j’ai une nationalité française et cubaine. C’est une richesse d’appartenir à différents territoires, malgré parfois quelques difficultés. J’ai suivi des études à Montpellier avant de commencer mon engagement professionnel chez Pernod Ricard. J’y suis resté pendant 15 ans, à participer au développement du packaging. Ensuite, j’ai fait de la recherche en logistique, et accompagné le développement des filières, entre autres celle du cannabis.
Mon engagement citoyen est très ancien car j’ai souhaité participer à la vie politique dès l’adolescence. Mais mon véritable engagement politique a eu lieu en 1992 après le Sommet de Rio, point de départ du développement durable. C’est à ce moment que les nations ont pris conscience des risques liés à la destruction de la planète. J’ai donc décidé de m’engager en rejoignant les écologistes, avant de devenir député des Bouches-du-Rhône en 2012.
Pourquoi l’engagement politique?
On parle beaucoup de politique dans les cafés, dans les journaux, à la télé, etc. Mais au lieu de discuter sur ce qu’on devrait faire, je me suis dit qu’il faut mettre les mains dans le cambouis. J’ai donc envoyé mon bulletin d’adhésion et intégré le parti écologiste, avec Brice Lalonde, Noël Mamère et Jean-Louis Borloo. Ça m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai fait la connaissance du cannabis. Nous avons eu beaucoup de livres et de réunions avec des intellectuels. C’est par la confrontation qu’on arrive à se construire une opinion. Aujourd’hui, ça fait 30 ans de vie politique.
Pourquoi l’écologie?

La sensibilité à la nature est innée en moi. Le sommet de Rio a été un catalyseur. Ça a permis d’ouvrir une autre voie que celles qu’on connaissait déjà, telles que le conservatisme, le radicalisme de gauche, le socialisme, le communisme, etc. C’est une voie qui tient compte de façon plus équilibrée des limites de notre planète. Je n’avais que 25 ans à cette époque, et je me préoccupais déjà des trous dans la couche d’ozone, des pluies acides, du réchauffement climatique, de la pollution, etc. Ce sont tous ces éléments réunis qui m’ont poussé à m’engager.
“La politique est un bois dur qui se taraude lentement. Je continue encore à apprendre, mais les choses se lissent. Je pense que je commence à avoir une certaine maturité dans certains domaines”.
A quel moment as-tu commencé à porter une réflexion sur le cannabis?
Un adulte sur trois a déjà consommé du cannabis et je suis dans les deux autres. Comme je suis né à la Havane, je suis plutôt sur le cigare. Paradoxalement, je suis l’un des parlementaires les plus engagés contre le tabac. Nous les écologistes, nous percevons le cannabis comme un élément libertaire face à la moralisation qui pèse sur la société. Pour nous, la nature est amorale. On ne peut lui expliquer ce qu’elle doit faire. C’est pourquoi nous avons plus un penchant pour le côté scientifique et sécuritaire.
En 2015, l’échec de la prohibition en France a fait contraste avec la légalisation dans d’autres pays. Chez nous, cette prohibition s’est davantage endurcie, et est régulièrement discutée dans les débats politiques. Il y a eu l’invention de l’amende forfaitaire, la stigmatisation, la mobilisation des flics, la répression chez les consommateurs… Puis, les chiffres sont tombés: 1 million de Français consomment du cannabis récréatif chaque jour, et 5 millions sont des consommateurs réguliers.
Certains pensent qu’il faut rentrer dans une légalisation encadrée pour sortir de la prohibition. En tant que député qui accompagne le développement des filières, j’ai mobilisé ma réflexion sur la question de la légalisation, sur la création d’une filière économique, les garde-fous et les opportunités. Des échanges et des rencontres s’en sont suivies, puis une proposition de loi en 2019. Cette dernière a essuyé les critiques d’une grande partie de la communauté qui souhaitait plus un encadrement de la légalisation.
Parles-nous un peu cette loi sur le cannabis
En gros, cette loi veut que la consommation de cannabis récréatif en France soit légale, jusqu’à un certain niveau de THC. Ce seuil sera défini par décret, c’est-à-dire qu’il sera de la responsabilité du gouvernement. En effet, à l’exécutif d’ajuster la légalisation en fonction des particularités du moment, comme les évolutions du marché, les connaissances scientifiques nouvelles, etc.
Notre rôle est de soumettre notre proposition de loi à la SECA ou société d’État du cannabis, qui va encadrer la filière depuis le choix des graines autorisées à la distribution. Elle va donc mettre ces graines à disposition des agriculteurs agréés, et s’assurer que la production et la transformation se déroulent dans les règles. Enfin, la distribution se fera à travers un réseau de buralistes.
Il y a 2500 boutiques en France, et des professionnels qui prennent le temps de renseigner le consommateur, chose qu’on ne voit pas dans les bureaux de tabac. Ne penses-tu pas que ces boutiques spécialisées seraient plus adaptées?

Nous avons cette forte culture des boutiques spécialisées en France, à l’instar du caviste ou du fromager. On prend le temps de vous expliquer avec quoi servir le vin par exemple. Je suis tout à fait d’accord pour les boutiques spécialisées, mais je pense qu’il faut ajouter une dimension sociétale. En d’autres termes, il faut tenir compte de la perception du cannabis récréatif par l’ensemble de la société française.
Nous ne voulons surtout pas crisper la société. Je pense qu’il faut rester prudent, en passant par des réseaux que nous connaissons déjà. Sans vouloir dénigrer les buralistes, il est vrai que c’est encore plus rassurant d’avoir des professionnels. Cependant, cette approche n’est pas tournée que vers le consommateur, mais aussi vers les 50 millions de Français. Comme on ne sait pas comment ils vont réagir, c’est un moyen de les mettre en confiance et d’éviter une éventuelle défiance.
Même dans les pays qui ont légalisé comme le Canada, une partie des ventes est encore sur le marché illégal, parce qu’il y a des produits de qualité ou de provenance qu’on ne peut trouver sur le marché légal. D’ailleurs, les tabacs vendent du CBD, mais d’entrée de gamme. Est-ce que les boutiques spécialisées ne seraient pas plus adaptées pour rechercher cette qualité ou des produits de terroir comme dans le vin par exemple?
Je pense qu’on se rapprochera du vin quand le marché sera plus mature. Il faut penser aux 50 millions de Français qui ne doivent pas craindre de trouver des gens défoncés en bas de chez eux parce qu’ils ont repéré une boutique de CBD. Nous savons que ce ne sera jamais le cas, mais l’imaginaire collectif risque de nous amener à des manifestations d’hostilité. De la même manière qu’avec l’autoproduction, ce n’est pas logique d’interdire de faire pousser du cannabis chez soi, mais de permettre de l’acheter chez le buraliste.
Cependant, le fait d’autoriser l’autoproduction de manière large risque d’amener les 2⁄3 de la population qui ne consomme pas du cannabis à croire que la France va devenir un territoire de débauche. Allons-y progressivement!
La Thaïlande était contre le cannabis et les drogues, mais a fait un virage à 90°. Aujourd’hui, les Français ont une réflexion mature sur le sujet. Ils comprennent la problématique du marché, de la consommation, de la délinquance, etc., et savent que tout ça peut être encadré par les professionnels. D’ailleurs, c’est prouvé quand on a réussi à faire valoir le CBD grâce à l’Europe. Si on doit prendre un chemin et se dire que la population ne pourra pas comprendre, est-ce qu’on ne risque pas de détruire cette filière qui s’est créée?
La Thaïlande est un pays monarchique, où tout le monde applique la décision prise d’en haut sans faire de vague. En France, les décisions sont souvent remises en cause par le peuple, ce qui est normal parce que nous sommes un pays démocratique. Je ne peux donc pas comparer. Par contre, il est vrai que depuis 2019, les CBD shop démontrent chaque jour leur professionnalisme, avec l’appui des associations fortes comme l’UPCBD et NORML France.
Je rajouterai qu’il nous faut regarder les évolutions des nos pays voisins comme l’Espagne, le Portugal, la Suisse, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique. Certains ne sont que dans la dépénalisation, tandis que d’autres sont déjà dans la légalisation avec une structuration du réseau de distribution. Cela va nous aider, surtout avec l’Allemagne. Il y a un an, on ne se doutait pas que les Allemands iraient vers la légalisation du cannabis.
La loi française est de 2019, et le débat est de 2021. Certains diront qu’il est encore tôt, mais tout va très vite dans le monde du cannabis. Quand j’ai commencé à écrire sur la légalisation, 40% des Français étaient pour. Aujourd’hui, nous devons être à 60%. Peut-être, le jour où la majorité sera prête à l’accepter, nous serons à 70%. A ce moment-là, le monde du CBD et du chanvre aura acquis une image plus positive. Entre 2019 et 2022, on note déjà une forte progression de l’acceptabilité de la légalisation du cannabis. La société sera beaucoup plus prête, les CDB shops beaucoup plus pro, et nous ne serons plus obligés de ne passer que par les buralistes.
Par ailleurs, nous pouvons même envisager de rapprocher le CDB et le cannabis récréatif des deux grands produits que sont le vin et le fromage. Par exemple, il n’y a qu’en France que l’on met une heure à réfléchir sur son vin. Ce serait dommage que l’on n’aie pas cette intelligence sur des produits à plusieurs variables gustatives comme le cannabis et le CBD.
Des pays ont vu leur économie évoluer après la légalisation du cannabis. Quel est ton avis là-dessus?

Quand j’ai pensé à cette loi, il y avait aussi des enjeux sécuritaires. Par exemple, les habitants du quartier sont obligés de contourner le square depuis 20 ans parce que c’est un point de deal. Je pense aussi à ces quartiers abandonnés qui vivent du trafic, qui sont des zones de non droit et de non perspectives. Non perspective parce que ça freine l’émergence de toute autre forme d’économie. Il est impossible de vendre dans ces zones où le trafic s’est imposé.
1 million de consommateurs quotidien et 5 millions réguliers sont à deux doigts de faire basculer leur vie parce qu’ils sont contrôlés positifs à un moment donné. Ça peut être une dégradation dans la société. C’est aussi une perte de 1 million d’heures de police. 52% du tribunal pénal de Marseille est consacré au stupéfiant, mais il faut 7 ans d’attente pour un procès. Nous dépensons 1 milliard d’euros d’argent public pour des résultats nuls. Vous inversez la logique en passant à la légalisation, et on estime que ça va créer 50 000 emplois dans les territoires, et 2 ou 3 milliards d’euros de recette. On enlève des contraintes insolubles et on gagne énormément.
Alors pourquoi ce n’est pas passé en France?
La morale n’a pas sa place en politique, mais en l’occurrence, elle est là. La morale des droits de vote de la femme a fait qu’ellles ne voteront pas avant la deuxième guerre mondiale, parce qu’elles n’étaient pas considérées comme matures pour faire des choix électifs.
De même quand la femme n’avait pas droit à un compte bancaire avant les années soixante. La morale voulait que ce soit réservé à l’époux parce que la femme est dispendieuse. Pareil pour la pilule contraceptive qui était vue comme une débauche. Et l’IVG, dès que c’est devenu légal, nous sommes passés de 200 000 IVG clandestines à 220 000 IVG pour la protection de la vie.
Il a aussi fallu attendre 40 ans pour lever la morale sur l’homosexualité. Avant 1982, c’était illégal et immoral. Pourtant, il n’y a aucun problème technique à ce que deux hommes ou deux femmes vivent ensemble. C’est juste que la morale n’accepte pas qu’ils aient des relations ensemble.
La morale dit aussi que ce n’est pas bien de fumer du cannabis. Mais en quoi ce n’est pas bien? Le problème pour nous, c’est de dépasser ce cadre moral et de revenir à la raison. La raison est que ce n’est pas un produit neutre, mais qu’il ne va pas non plus détruire la population. Au contraire, il peut rassembler une partie de la population et régler des tas de problèmes.
Le monde a évolué. Nous avons des moyens de nous informer comme les réseaux sociaux et le podcast. De l’autre côté, les jeunes ne votent pas plus que les personnes âgées. Au niveau politique, on est un peu obligé de séduire ceux qui ont le ticket de vote. Cette morale est pourtant ancrée chez les personnes un peu plus âgées. Est-ce que la question ne serait pas de savoir comment refaire voter les jeunes qui sont plus connectés au réel pour avoir un impact sur les lois?
Je n’ai pas la réponse, mais il est vrai que les gens qui votent sont ceux qui ont moins de perspectives de vie que ceux qui ont toute la vie devant eux. En d’autres termes, les gens qui ont 20 ou 30 ans d’espérance de vie imposent le modèle de société à ceux qui ont en 50. C’est paradoxal:
Je suis favorable au vote obligatoire, accompagné de la reconnaissance du vote blanc. Mais si les votes blancs prennent le dessus, on ne pourra pas sortir de cette impasse. A propos du cannabis, les jeunes s’informent, voyagent, discutent autour d’eux. Quand ils voient la légalisation ailleurs, ils se demandent forcément pourquoi pas en France? Le blocage vient du fait que ceux qui pourraient soutenir la légalisation n’en font pas une priorité dans leur vote, ou ne votent tout simplement pas.
En revanche, je suis très favorable à un référendum. Beaucoup diront que si on perd le référendum, on en a pour 10 ans avant la légalisation. Ne soyons pas défaitiste. Nous avons tous les arguments, exprimons-les calmement. Si demain, il y a un référendum pour ou contre la légalisation du cannabis, je suis sûr qu’on aura un taux de participation des jeunes extrêmement élevé parce que c’est un sujet qui les concerne.
Comment ce référendum sera représenté par les médias?
Je suis passé sur quelques médias nationaux, et dernièrement sur RTL. Je constate que les médias d’influence sont plutôt neutres, mais dessinent des perspectives. J’ai même l’impression qu’ils sont sur le point de basculer du côté de la légalisation du cannabis, exception faite du Figaro, mais n’osent pas vraiment l’afficher.
Le financement de ces médias peut avoir un impact positif, s’ils sont liés à des grandes entreprises ou à des milliardaires. En regardant le spectre large, ils n’y verront que du feu. Ça peut non seulement apaiser la société, mais aussi créer un business.
Tu es arrivé avec un joint de cannabis dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Racontes-nous cette anecdote

Pendant un an, la commission spéciale de la précédente législature a eu énormément d’auditions. Nous étions environ une quarantaine de députés de tous bords sur les 3 volets du cannabis: cannabis thérapeutique, cannabis récréatif et CBD. Alors que la commission s’apprêtait à rendre son rapport, je voulais attirer l’attention de manière plus forte. Et je savais aussi comment fonctionnent les médias. L’idée de brandir un joint était pour créer le buzz et créer le débat. J’ai aussi distribué des petits gobelets sérigraphiés à tous mes collègues. C’est dans ces moments qu’on réalise que la légalisation est très attendue, car tout le monde voulait sa part.
J’ai pris mon gobelet dans lequel j’y ai caché un joint, que j’ai sorti pendant mon discours. Je l’ai brandis en disant que 1 français sur 3 a déjà fumé du cannabis… Le président de séance me demande d’arrêter et déclare qu’il va l’inscrire au débat du jour. A la suite de ça, on m’a déduit 1400 euros sur mes indemnités de salaire. J’ai aussi écopé d’une amende, que j’estime insignifiante par rapport à ce que peuvent subir certains pour avoir fumer un petit joint.
Le buzz a fait effet et m’a ouvert les portes de plusieurs médias, car c’est un geste qui interpelle. Quelque part, ça a permis d’encourager l’acceptation de la légalisation du cannabis.
Parles-nous de ton livre
Ecce Homo, c’est la déclaration des romains lorsqu’ils ont arrêté et présenté Jésus au peuple juif. Cela signifie “voilà votre homme, il faut le tuer pour vous libérer de son emprise”. 2000 ans plus tard, alors qu’on a fait porter tous les malheurs de Judée au Christ, le christianisme est là. Le livre fait référence à l’histoire de l’humanité, et à la chanson de Gainsbourg Ecce Homo. Cannabis Ecce Homo signifie que le cannabis n’est pas la cause de tous nos problèmes d’insécurité, et de la débauche. Il permet de voir la vraie réalité et de dessiner des perspectives.
J’ai condensé plusieurs années de réflexion en 24h dans ce petit livre de 100 pages. Il parle des enjeux de la légalisation à travers les débats, les interviews. On y trouve aussi des interviews fictives avec une journaliste pour faire un jeu de questions réponses. Il s’adresse à celui qui attend la légalisation du cannabis et aux moralistes. Le livre renferme plusieurs éléments de réponse pour nourrir la réflexion de ceux qui souhaitent devenir porte-parole de la légalisation. Enfin, il permet aussi de savoir où en sont les échanges et de se tenir au courant de la politique au Parlement et à l’Assemblée Nationale.
Le mot de la fin
“Le cannabis n’est pas une fleur du mal”.
C’est sur ces mots vibrants que notre invité conclut son interview. Retrouvez tous nos épisodes avec l’intervention des acteurs du marché et des personnes influentes dans le monde du cannabis légal et du CBD sur le site.