Charles Morel: Structurer et laisser vivre la filière du CBD en France

ParlonsCanna
Notre invité du jour est Charles Morel, Président de l’Union des Professionnels du CBD ou UPCBD. En première ligne sur le combat contre l’interdiction de la fleur CBD, il s’est fait connaître à travers les batailles politiques et juridiques qu’il a mené. Son ambition de laisser vivre et structurer la filière avec les différents acteurs. Il répond à toutes nos questions en direct du salon du CBD. Découvrez son énergie extraordinaire, ses exploits et sa vision de l’avenir du marché du CBD en France.
Qui es-tu Charles Morel?
Je suis avocat au barreau de Paris depuis 25 ans, et Président de l’union des professionnels du CBD depuis sa création le 21 juin 2021. C’est un syndicat entièrement dédié au CBD qui s’est créé avec le sentiment d’une nécessité pour les acteurs de la filière. En effet, quand on parle de chanvre, il y a différentes problématiques:
- L’exploitation du chanvre industriel;
- Le cannabis récréatif qui est encore illégal;
- Le cannabis thérapeutique qui fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation;
- Et la filière du CBD qui a son agenda et ses problématiques spécifiques.
Si nous parlons CBD, il y a encore un énorme travail à fournir pour faire comprendre gouvernement et à l’opinion publique qu’il ne s’agit pas d’un stupéfiant. La substance souffre toujours d’une réputation sulfureuse, entretenue par le gouvernement, créant la confusion avec le THC et le CBD.
Pourtant, la CJUE, la Cour de Cassation, et l’OMS sont unanimes sur le fait que le CBD est non stupéfiant. Le Conseil d’Etat les rejoint d’une certaine manière en suspendant l’interdiction de la fleur. Nous avons attaqué l’arrêté du 31 décembre 2021 en référé de liberté dès le lendemain de son apparition, et l’affaire a été audiencée 15 jours après. Il n’aura vécu que 24 jours, avant sa suspension temporaire le 24 janvier.
Comment expliquer que cet arrêté soit sorti contre les lois européennes?
Pour nous, l’Etat a un comportement qui interpelle. Plutôt que de s’appuyer sur des données scientifiques et médicales indiscutables, nous avons le sentiment que ce projet d’arrêté est fondé sur des options politiques électorales. Il a instauré une prohibition en jouant de la confusion entre le THC et le CBD.
Par ailleurs, selon la sécurité publique, les forces de police n’ont pas les moyens de faire la distinction entre le cannabis récréatif et le CBD. Pour nous, cet argument ne tient pas la route, et nous l’avons prouvé. Même le Conseil d’Etat considère qu’une interdiction générale et absolue est une brutalité extraordinaire, car il n’y a pas ni transition ni indemnisation prévue.
Quelles ont été les conséquences de l’interdiction de la fleur?
Il s’agissait d’une liquidation pure et simple de la filière CBD, la fleur faisant environ 70% des chiffres d’affaires des boutiques spécialisées. Près de 1800 boutiques sont recensées au 1er septembre 2021. Elles créent des milliers d’emplois et font vivre des milliers de familles. Certaines personnes ont investi toutes leurs économies et se retrouvent soudainement avec des stocks considérés comme de la drogue. Ces derniers n’étant plus commercialisables auprès des clients, ni restituables auprès des fournisseurs, ont dû être détruits. On parle de centaines de milliers d’euros de stocks rendus sans valeur, sans oublier la fermeture forcée des commerces.
Combien êtes-vous à l’UPCBD?
Notre syndicat est récent mais puissant, avec 200 adhérents directs, constitué de professionnels, de boutiques, de bureaux de tabac, de laboratoires, et même de producteurs. Partagés dans ce combat, on aimerait être un lobby du gouvernement. Malheureusement, il choisit ses propres interlocuteurs pour l’instant. Plus à contre-pouvoir qu’en lobby, nous devons mener notre combat jusqu’à son terme pour transformer la suspension en annulation définitive de cet arrêté interdisant la fleur.
En outre, on fait aussi un travail de structuration, pour une montée en gamme de la filière: formations dédiées, labels, normes et toute une série de propositions suite à l’obtention de cette annulation définitive. Notre objectif est d’avoir une réglementation claire et pragmatique, qui traite de toute la typologie de produits, des questions fiscales et de la recherche variétale. Par exemple, pour résoudre le problème du catalogue européen qui propose des variétés non adaptées pour travailler le CBD.
A qui s’adresse l’UPCBD?

Le syndicat est ouvert à tous les acteurs de la filière CBD qui veulent avoir cette crédibilité, avec une forte majorité de boutiques. Rejoindre cette communauté leur permet d’avoir une réponse à tous leurs besoins, et de bénéficier d’actions de formation pour bien informer et conseiller leurs clients. En effet, nous proposons des formations physiques, en e-learning ou en visioconférence. Elles seront prises en charge par les OPCO, et couvriront tous les thèmes, notamment les problèmes de livraison, la douane, le juridique, l’historique, l’économie, l’agronomie, etc. Les programmes seront communiqués aux participants, qui pourront choisir les thèmes adaptés à leurs besoins avec les centres de formation.
L’avantage, c’est aussi de bénéficier des services mutualisés. Nous négocions avec des partenaires sur plusieurs aspects:
- Les achats groupés;
- Les problèmes de sécurité vis-à-vis des tentatives d’effraction dans les magasins;
- Les services de paiement avec la fédération des banques, les ministères, etc.
On veut que l’activité autour du CBD se banalise et bénéficie du même écosystème assurantiel et entrepreneurial que n’importe quel autre secteur.
Combien ça coûte pour un shop de devenir adhérent?
Le barème est fixé en fonction du chiffre d’affaires annuel par adhérent, et peut être adapté à ses moyens. C’est 50€ par mois pour 250.000€ de chiffres d’affaires annuel (ou à voir en fin d’exercice), jusqu’à 1500€ par mois si plus de 5M€ de chiffres d’affaires annuel.
L’adhésion est accessible et apporte de la valeur ajoutée en termes d’informations, de représentation et de mise en relation. On veut surtout éviter le syndrôme de passager clandestin. De cette manière, tous les adhérents apportent leur part de contribution dans le combat qu’on mène.
Pour rejoindre l’UPCBD, allez sur le site upcbd.org, et cliquez sur l’onglet rejoignez-nous.
Si tu as le pouvoir de la légalisation du cannabis en France, qu’est-ce que tu fais?
Je fais en sorte d’atteindre le but de faire vivre la filière. Au-delà du CBD, c’est aussi le chanvre. On va donc essayer d’élargir les murs. En effet, c’est une plante miraculeuse, l’équivalent du chien dans le règne animal, la meilleure amie de l’homme dans le monde végétal. Elle structure les sols et absorbe plus de CO2 que les arbres alors qu’elle pousse en 6 mois. On peut la cultiver pour tous les usages: carburants, isolation, alimentation, plasturgie, bien-être,…
Et si on cultive du CBD en France sans faire de réflexion sur la fleur, on peut aussi en faire tout un usage de la fibre et des graines. Aujourd’hui, on a 20.000 ha de chanvre en France, contre 200.000ha au début du siècle. Ce serait déjà pas mal si on pouvait se fixer comme objectif de retourner à 200.000 ha. On pourrait même aller beaucoup plus loin si l’on en faisait un bon usage de la plante.
Pourquoi faut- il remonter le taux de THC?
Bien que la limitation du taux de THC soit passée de 0.2 à 0.3%, il est encore difficile de contrôler la plante et d’avoir un fort taux de CBD sans un taux de THC potentiellement élevé. De plus, on est obligé de traiter la plante et de passer par des procédures chimiques, ce qui fait perdre le côté naturel et tous les bienfaits de la plante. On veut aller jusqu’à 1% de THC, un taux où les effets restent non psychotropes, et qui permet aussi de faire jouer l’effet entourage. Augmenter ce taux autant que possible évite de dégrader la qualité de la plante, notamment l’intensité de ses principes actifs. Au final, on veut aller vers des modes de production, d’extraction, de transformation, de vente et de consommation les plus vertueux possibles.
Qu’est-ce que tu attends du gouvernement?
Nous ne voulons pas d’obstacles liés aux questions fiscales, aux licences à prix confiscatoires, ni une attribution de monopoles venant du gouvernement. Il ne faut pas non plus que ça passe par le cannabis thérapeutique en le faisant entrer dans la qualification de médicament par destination en fonction du taux de THC. Dans cette filière, les TPE et PME doivent être mises en avant. Elles se battent contre les convoitises des grands acteurs étrangers.
En contrepartie, nous faisons le maximum pour une montée en gamme. On s’organise pour faire des labels, des produits de qualité issus de circuits courts, destinés à une consommation de manière adaptée et vertueuse.
En gros, nous invitons à produire et à consommer français. Grâce à la technologie, le consommateur bénéficie également d’une garantie avec une traçabilité des produits, écrite et vérifiée dans la blockchain.
Comment tu vois le marché dans les 5 prochaines années?
L’avenir du marché du CBD sera déterminé par la décision du Conseil d’Etat dans quelques mois. Si on obtient l’annulation définitive de l’arrêté, on pourra s’inscrire dans la durée avec l’idée d’avoir une filière dans le bien-être, bien distincte du cannabis récréatif et du cannabis thérapeutique. Peut-être évoluera-t-on vers la légalisation du cannabis, on ne sait jamais!
En tout cas, il y a de la place pour une filière bien être sur les années à venir, à condition d’accomplir cet effort de structuration, de montée en gamme et de compétences.
Tout ce que nous demandons, c’est de pouvoir travailler dans des conditions normales et d’être considérés comme des acteurs économiques dignes de respect et de confiance.
Nous ne demandons pas de subventions. Au contraire, nous payons beaucoup d’impôts. Si la filière se structure dans le bon sens comme aux Etats-Unis ou au Canada, on a beaucoup à y gagner. Par exemple, au niveau éducatif, une baisse de consommation de cannabis récréatif au profit du CBD pour l’effet relaxant, une amélioration générale de la santé de la population,…
Tout passe aussi par les discussions comme sur Parlons canna ou dans les médias locaux. Bref, c’est hyper important de mettre en avant l’information et la communication.
Qu’est-ce que tu penses de la légalisation du THC?

Ce n’est pas notre priorité pour l’instant. Nous en avons parlé au colloque Legalise it, mais moi je porte les intérêts de la filière du CBD. On ne veut pas lier notre sort à celui du THC et devenir une victime collatérale. D’ailleurs, le CBD a son propre agenda et ses exigences spécifiques. En même temps, on voit bien que la politique de prohibition ne fonctionne pas. Mais à mon avis, la légalisation du THC peut réduire le trafic d’au moins 50%, car il y a une responsabilité écrasante des politiques qui, d’une certaine manière, travaillent pour les trafiquants.
Qu’est-ce que tu dirais aujourd’hui aux consommateurs?
Ils se sont manifestés pour la pétition lancée suite à l’arrêté de la fleur. On a réuni 40.000 signatures et énormément de témoignages poignants. Aujourd’hui encore, je lance un appel à témoignage.
“On a besoin de vous, pour mettre les visages de ceux qui consomment et qu’ils le disent pourquoi, sur notre site et sur les réseaux”.
Je m’adresse aux fumeurs de joint qui ont arrêté ou réduit considérablement leur consommation de THC. On veut aussi voir les seniors, les propriétaires d’animaux, les sportifs, sans parler des enfants qui souffrent d’épilepsie. Pour moi, c’est une transition massive qui joue sur la santé et sur l’assèchement des trafics.
Qu’est-ce que tu dirais aux boutiques?
“Merci d’avoir mené ce combat avec nous, avec un esprit unitaire dans l’adversité”.
Après avoir célébré la victoire, il est temps de se remettre au travail.
Travaillez avec nous dans les comités pour démontrer notre sérieux. Nous pourrons avoir une production intellectuelle, scientifique et médicale. Cela nous permettra de documenter à travers les études scientifiques, de passer des partenariats avec des professionnels de la santé, de créer des passerelles avec des universités.
Et aux producteurs?
Nous sommes avec vous, nous vous soutenons dans les obstacles. Nous allons travailler avec l’AFPC et le SPC à mettre en place une filière avec les meilleurs produits, des circuits courts, et avec la certification bio. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a différents terroirs en France, et ça se voit avec la plante. C’est pourquoi on incite les adhérents à produire made in France. Pendant la crise du covid19, nous avons vu l’importance d’avoir une économie locale. Nous avons besoin de cette souveraineté et de cette autonomie économique.
Le mot de la fin
Nous sommes encore dans le temps du combat. Par contre, que ceux qui sont dans cette filière soient fiers d’eux. Vous avez pris des risques avec courage, face au comportement de l’Etat et les nombreuses méconnaissances. Ce courage doit maintenant se transformer en enthousiasme pour transformer la filière dans la durée. Regardez aujourd’hui, nous sommes au salon du CBD. Qui l’eut cru il y a 4 ans!
Professionnels du CBD, rejoignez Charles Morel dans ce combat, sur UPCBD.org.
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